Sacré sacrifice

2023, le sacré à l'aune du sacrifice...

La question du sacré a préoccupé Carl Gustav Jung tout au long de sa vie, comme en témoigne l’inscription gravée au-dessus de la porte d’entrée de sa demeure de Küsnacht ainsi que l’épitaphe de sa pierre tombale : « VOCATUS ATQUE NON VOCATUS DEUS ADERIT », « Appelé ou non appelé, Dieu sera présent ». On peut aisément penser que cette parole prophétique attribuée à l’oracle de Delphes a touché Jung jusqu’au plus profond de son âme pour qu’il en fasse sa devise de prédilection dans la vie comme dans la mort. Effectivement, elle résume à elle seule l’étroite relation qu’il a entretenue avec le divin. Qu’on le veuille ou non, la question du sacré s’impose à nous à un moment donné de notre existence. Cette question, Jung ne l’a justement pas évitée. Il l’a saisie à bras le corps — non pas sans difficultés, mais sans jamais abandonner — et bien qu’il n’y ait pas totalement répondu, il est arrivé à la conclusion que la guérison psychologique ne pouvait pas aboutir sans que l’on reconnaisse et accepte au préalable cette expérience du sacré. En effet, Jung a reconnu à partir de son expérience l’existence d’une fonction religieuse en l’être humain. Cette idée lui a été fortement inspirée par Rudolf Otto à qui il a emprunté le terme de numineux, que l’on peut résumer par la puissance supérieure qui prend le commandement en substituant sa volonté à la nôtre.

Dans un monde post-nietzschéen dans lequel « Dieu est mort », le génie de Jung a été de reconnaître que malgré la mort supposée de Dieu, le divin a quant à lui, bel et bien survécu au fond de nous et continue de s’exprimer par le biais de manifestations numineuses. La rencontre avec le numineux était pour Jung le véritable dessein à atteindre comme il le confia à P. W. Martin en 1945 dans leur correspondance : « Ce qui m’intéresse avant tout dans mon travail n’est pas de traiter les névroses, mais de me rapprocher du numineux. Il n’en est pas moins vrai que l’accès au numineux est la seule véritable thérapie. »

Dès lors, s’impose à nous la question de quelle position adopter face au sacré. Selon Jung, la réponse à cette question est unique et personnelle, mais ne peut se trouver qu’avec l’avènement d’une dialectique entre le Moi et ces puissances numineuses, dès lors que le Moi sacrifie sa position toute puissante et toute sachante. Jung a reconnu très tôt la nécessité pour l’individu d’en passer par des sacrifices pour avancer sur le chemin de l’individuation. Il consacre d’ailleurs à ce thème tout un chapitre dans Métamorphoses de l’âme et ses symboles. Il y explique que le cours naturel de la vie exige des sacrifices de la part de chaque individu. Il définit notamment trois grandes séparations sacrificielles : celle du matin de la vie avec le renoncement au « paradis perdu », celle du midi avec l’abandon de sa position héroïque et celle du soir avec l’acceptation de sa mort.

À l’occasion de cette saison, il nous est apparu important de nous intéresser aux questions que soulèvent le sacré et le sacrifice, car il se pourrait bien que l’engouement de plus en plus grand — auquel nous assistons aujourd’hui — pour la spiritualité, soit concomitant avec une résurgence du sacré dans notre monde postmoderne. Plus que jamais, les théories de Jung s’avèrent, sur ce thème, d’une remarquable actualité.

Matthieu Mares

Président de Marie-Louise von Franz & Carl Gustav Jung