2025, d'ombres et de lumières...

L’ombre, concept fondamental de la psychologie analytique, désigne ces aspects de nous-mêmes que nous préférons ignorer, réprimer ou dissimuler, mais qui peuvent néanmoins influencer profondément nos vies. Elle incarne une réalité psychique complexe, parfois inconfortable et dérangeante, mais toujours riche d’enseignements. Paradoxalement, c’est souvent dans l’exploration de cette part obscure que nous découvrons les clés de notre transformation et de notre individuation. L’ombre, c’est aussi l’inconnu en nous qui nous sommes de nous poser la question suivante : « Qu’as-tu fait de celui ou de celle que tu aurais pu devenir ? »

Comprendre l’ombre et les réalités psychiques qui l’entourent demeure un défi de taille. Par essence, l’ombre se soustrait à notre conscience et se manifeste fréquemment par le biais de projections : nous attribuons à autrui nos propres défauts, erreurs ou traits inconfortables de notre personnalité. Il s’agit là d’une vérité bien difficile à accepter pour nous-mêmes. Ce mécanisme de projection constitue le cœur des résistances qui ralentissent notre cheminement intérieur. Comme le souligne Carl Gustav Jung dans L’homme à la découverte de son âme, cet aveuglement à notre propre ombre peut se manifester à travers des projections sur autrui, un mécanisme de défense profondément humain : « De deux choses l’une, nous connaissons notre ombre ou ne la connaissons pas ; dans ce dernier cas, il arrive souvent que nous ayons un ennemi personnel sur lequel nous projetons notre ombre, dont nous le chargeons gratuitement, qui, à nos yeux, la porte comme si elle était sienne, et auquel en incombe l’entière responsabilité ; c’est notre bête noire, que nous vilipendons et à laquelle nous reprochons tous les défauts, toutes les noirceurs et tous les vices qui nous appartiennent en propre ! Nous devrions endosser une bonne part des reproches dont nous accablons autrui ! Au lieu de cela, nous agissons comme s’il nous était possible ainsi de nous libérer de notre ombre ; c’est l’éternelle histoire de la paille et de la poutre. »

Carl Gustav Jung précise dans une lettre, datant du 22 octobre 1916, adressée à Fanny Bowditch : « Celui qui regarde à l’extérieur rêve ; celui qui regarde à l’intérieur s’éveille. » Ce regard intérieur exige plus qu’une simple observation : il requiert une volonté de transformer ce que nous y découvrons, de faire face à l’inconfort de l’ombre et d’en tirer les leçons nécessaires à notre évolution. Loin d’être une ennemie, l’ombre peut devenir une précieuse alliée dans notre quête de connaissance de soi. Derrière ces aspects enténébrés de l’existence se cachent des trésors insoupçonnés : des forces secrètes, des potentiels inexploités et une créativité enfouie. Si nous avons le courage de franchir le seuil de cette obscurité, nous y trouvons un puissant levier pour notre évolution personnelle.

Marie-Louise von Franz, dans ses ouvrages tels qu’Âme et archétypes ou L’ombre et le mal, a approfondi cette notion en démontrant que l’ombre ne se limite pas à la sphère individuelle. Elle s’étend également à l’échelle collective, influençant les dynamiques familiales, groupales et sociales. Fréquenter l’ombre, c’est donc interroger non seulement notre univers intérieur, mais aussi l’humanité tout entière et la place que nous occupons vis-à-vis des ombres collectives. Tout comme l’ombre individuelle révèle nos parts ignorées, l’ombre collective manifeste ce que nous, en tant que société, cherchons à refouler, à ignorer ou à rejeter. Ces deux formes d’ombre, individuelle et collective, sont indissociables et s’influencent mutuellement. Ainsi, dans nos sociétés, d’hier et d’aujourd'hui, l’ombre collective se manifeste souvent dans la stigmatisation des groupes marginalisés ou l’intolérance envers des idées divergentes. En reconnaissant ces ombres collectives, nous pourrions espérer transformer nos relations sociales, à travers un processus de réconciliation et d’intégration.

Pour éclairer cette thématique riche et complexe, les conférences et ateliers de l’année s’articuleront autour du prisme des contes de fées et des mythes. Ces récits intemporels, reflets de l’inconscient collectif, offrent une voie royale pour explorer nos ombres, non seulement individuelles, mais aussi collectives. Bien qu’ancrées dans l’imaginaire, ces histoires fascinantes traduisent les luttes intérieures, les contradictions et les aspirations universelles de l’humanité. Elles apportent des clés pour comprendre nos propres ombres et trouver des chemins de réconciliation avec ce qui, en nous et autour de nous, semble obscur, menaçant ou destructeur.

Nous espérons que cette exploration de l’ombre sera pour vous un cheminement à la fois enrichissant et transformateur. En nous confrontant à l’ombre, en l’intégrant pleinement, nous ne faisons pas que comprendre ce qui est caché ; nous permettons à notre véritable potentiel de se révéler et d’éclore. Comme nous le rappellent Carl Gustav Jung et Marie-Louise von Franz, c’est en embrassant pleinement notre obscurité et la part de lumière qu’elle renferme — non seulement en théorie, mais aussi en pratique, grâce à un travail régulier d’introspection et de confrontation avec l’inconscient — que nous pouvons véritablement devenir entiers et accomplis.

Matthieu Mares

Président de Marie-Louise von Franz & Carl Gustav Jung